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La Suisse s'intéresse de moins en moins au monde - Blog de Dialogue & Démocratie Suisse - DIALOGUE & DEMOCRATIE SUISSE

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La Suisse s'intéresse de moins en moins au monde

DIALOGUE & DEMOCRATIE SUISSE
Publié par dans Politique ·


«Revue Suisse»: Monsieur Imhof, nous vivons à l’ère de l’information. Il est donc légitime de vous demander comment vont les médias en Suisse.
Professeur Kurt Imhof: Encore plus mal qu’il y a vingt ans. La part de «nouvelles légères» et de sujets centrés sur les personnes et le sport a considérablement augmenté. En parallèle, les informations contextuelles diminuent. Les informations sont plus épisodiques et l’actualité est découpée en événements isolés qui ne sont plus reliés les uns aux autres. Les processus de cause et effets sont négligés et le public dispose d’une marge restreinte pour se forger une opinion. En outre, les acteurs politiques ayant des messages provocants ont aujourd’hui plus de facilité qu’avant à se faire une place dans les contenus rédactionnels. On constate aussi une diminution des informations de politique étrangère. La Suisse se replie de plus en plus sur elle-même et s’intéresse de moins en moins au reste du monde.
D’après vos recherches, comment peut-on expliquer cette évolution?
Jusque dans les années soixante-dix, les messages politiques étaient transmis par les journaux de partis, c’est-à-dire des journaux d’opinion ne dépendant pas en premier lieu de la vente. Ce fut ensuite l’apogée des tribunes, qui se sont approprié l’auditoire des journaux de partis: les lecteurs étaient avant tout des citoyens avant d’être des consommateurs de médias. Le changement radical s’est opéré dans les années quatre-vingt.
La sphère privée et intime s’est développée au détriment de ce qui concerne un peu tout le monde.
Comment?
Par l’apparition d’un système médiatique dépendant des consommateurs de médias et qui essaie de gagner des lecteurs grâce à des informations spectaculaires. Le journalisme a ainsi acquis une charge morale et émotionnelle. La sphère privée et intime s’est développée au détriment de ce qui concerne un peu tout le monde. Les acteurs populistes de tous les partis sont aujourd’hui plus présents dans les médias que ceux qui basent leur politique sur des arguments. La force de velours du meilleur argument est évincée par l’exploitation de l’indignation. Ayant perdu leurs propres journaux, les partis doivent travailler avec les messages les plus spectaculaires et provocants possibles.
Quelles en sont les conséquences politiques en Suisse?
Partout où la presse gratuite a brutalement pris de l’ampleur, le populisme politique s’est développé en parallèle avec succès. Chez nous, les conséquences sont plus graves que dans les pays avec un système d’opposition de gouvernement. La concordance suisse ne fait pas bon ménage avec une communication publique où le message coup de poing prend le pas sur l’argument de qualité. La dramatique saignée subie par la presse en tant que principal vecteur d’information politique nuit à la démocratie.
Nous en voilà à nous interroger sur l’origine du phénomène: est-ce d’abord l’offre médiatique qui a changé ou l’intérêt du public?
La question ne se pose pas en ces termes. Il s’agit plutôt de l’opposition entre la civilisation et la barbarie. Il est possible depuis toujours de vendre des journaux médiocres. Ce n’est absolument pas nouveau. À l’époque de l’Ancien Régime, des dizaines de milliers de personnes assistaient à des exécutions publiques pour satisfaire leur soif de ragots et de meurtres. Pour obtenir la démocratie, qui est par ailleurs un projet d’élite, il a fallu augmenter le niveau de formation des citoyens pour les rendre capables d’utiliser les arguments leur permettant de prendre part au débat démocratique. On n’est pas impuissant face à l’évolution actuelle, il s’agit là d’une décision délibérée.
Quelle analyse faites-vous du rôle des médias lors de la dernière campagne électorale?
Cette campagne a été très particulière. Depuis les années quatre-vingt-dix, l’UDC a généralement réussi à s’imposer avec ses thèmes. En particulier en 2007, lorsqu’elle a placé la criminalité des jeunes étrangers au centre du débat. À tel point qu’avant les élections, la criminalité des jeunes, en particulier des étrangers, occupait la première place du baromètre des préoccupations de GfS, à égalité avec la problématique des étrangers. C’est ce qui a permis à l’UDC de l’emporter.
Cela a-t-il été différent cette année?
Oui, des événements fondamentaux sont venus perturber la campagne: Fukushima, le franc fort, la crise économique et enfin la nouvelle fraude au sein d’UBS sont autant d’événements qui ont détourné l’attention des affiches de l’UDC contre l’immigration massive. Le système politico-médiatique connaît donc encore des interférences avec le monde réel. Ce qui est rassurant.
Ce sont justement ces processus que vous étudiez au département de recherche Opinion publique et Société de l’Université de Zurich. En octobre, les deuxièmes annales «Qualité des médias» sont sorties en Suisse. Dans quelle mesure les résultats sont-ils différents de ceux de l’année dernière?
L’utilisation des moyens d’information a reculé par rapport à 2010, tous médias confondus. C’est depuis longtemps le cas des journaux par abonnement. Le recul de la radio et de la télévision au cours des dix dernières années est particulièrement dramatique. La nouveauté entre 2009 et 2010, c’est que même l’utilisation des sites d’information en ligne a reculé, contrairement à celle des portails de services comme Bluewin ou GMX, qui a augmenté.
Ce sont là des changements quantitatifs. Existe-t-il aussi des différences qualitatives?
Il y a de plus en plus de «nouvelles légères» et de moins en moins d’informations contextuelles. Nous expliquons cela par les licenciements dans les rédactions et par le fait que les journalistes quittent les médias. L’information devient ainsi encore plus épisodique. Finalement, on constate aussi une permutation: les correspondants étrangers sont congédiés et les ressources disponibles sont utilisées au profit de sujets comme Kachelmann et Hirschmann
.
La force de velours du meilleur argument est évincée par l’exploitation de l’indignation.

Dans un chapitre spécial, vous avez étudié l’information économique sur les entreprises. Pour cela, vous avez développé un logiciel qui reconnaît le plagiat.
Oui. Nous avons ainsi pu montrer qu’une part épouvantablement élevée de l’information économique provient de simples comptes rendus des départements de RP. Les journaux reprennent les informations des RP des entreprises et vendent ces intérêts particuliers sous forme d’intérêts généraux. Nous avons constaté ce phénomène dans tous les médias imprimés, bien que dans une mesure différente. Les journaux gratuits sont les plus forts en la matière.
Vous consacrez également un chapitre à l’utilisation de la thématique des étrangers. Pourquoi fonctionne-t-elle si bien en Suisse?
La Suisse a une tradition prononcée sur ce point depuis les années soixante. Les initiatives sur le renvoi et sur les minarets nous ont permis de montrer comment une campagne doit être dirigée pour qu’il en résulte le plus possible de prestations rédactionnelles. Il faut de l’argent et un message provoquant. Pour l’initiative sur le renvoi, l’UDC a mis CHF 3,3 millions dans des moyens payants comme des affiches. En revanche, le PLR n’a dépensé que CHF 180 000, le PDC 45 000 et le PS 5000. Aucun autre pays que la Suisse n’a un acteur de droite populaire aussi riche. À l’aide de son message provoquant, l’UDC a touché un maximum de gens et sa problématisation de l’étranger a été majoritairement entérinée. Tout cela explique le succès des initiatives.
Que faudrait-il changer pour améliorer à nouveau la qualité de la communication publique?
Il faut agir sur trois points: premièrement sur le public et notamment sur les adolescents et les jeunes adultes. Par exemple, le fait de lire un journal de qualité ou un produit gratuit ne joue aujourd’hui plus aucun rôle pour attirer l’attention. Nous devons agir au niveau des écoles et développer encore plus de compétences médiatiques. Deuxièmement, nous allons lancer une évaluation mettant en lumière la qualité des médias. Nous pourrons ainsi tous les ans montrer quels produits médiatiques fournissent un travail de qualité en termes de diversité, professionnalisme, actualité et pertinence. Et troisièmement, la politique est appelée à créer les conditions permettant d’assurer le financement d’un journalisme de qualité. Cela suppose une diminution de la presse gratuite car le public tend à ne plus avoir conscience du coût.
Comment pensez-vous qu’il faut faire?
Nous devons éliminer la presse qui veut coûte que coûte être gratuite. Car les liens entre l’argent de la publicité et les contenus rédactionnels qui ont longtemps permis la survie du journalisme, sont en train de se briser. Nous avons donc besoin de mesures de subvention, également via l’argent des contribuables. Il faut exclure les entreprises médiatiques dont l’offre inclut des produits gratuits et qui nuisent ainsi au marché. Cela doit évidemment être organisé en dehors de l’État, via une fondation qui attribue des moyens financiers sur la base de critères de qualité clairement définis. Les citoyens doivent mettre plus la main à la poche, il n’y a pas d’autres solutions. Ce qui est important ici, c’est d’être conscient que le journalisme est le plus important service public d’une démocratie, encore plus que les transports publics. Car en abandonnant la communication publique exclusivement aux mains du marché, nous perdons les valeurs culturelles que les Lumières nous ont apportées et prenons le chemin de la barbarie.
Cela est-il vraiment applicable politiquement?
Il n’y a aucune autre voie envisageable. Par exemple, si l’une des plus grandes entreprises médiatiques était vendue à l’étranger, la Suisse perdrait son infrastructure journalistique et donc la possibilité de maintenir sa démocratie et de la faire avancer. Cela provoquerait très certainement une crise profonde. Si les crises sont horribles, elles portent aussi toujours en leur sein la possibilité que les gens prennent conscience de l’importance de la qualité du débat public.


SwissCommunity.org

Kurt Imhof
Né en 1956, Kurt Imhof a étudié l’histoire, la sociologie et la philosophie. Il est aujourd’hui professeur en sciences des médias et sociologie. Il dirige depuis 1997 le département de recherche Opinion publique et Société (fög) à l’université de Zurich. Il a publié de nombreux ouvrages, Les plus récents sont «Die Krise der Öffentlichkeit – Kommunikation und Medien als Faktoren des sozialen Wandels» (Campus, 2011) ainsi que les deuxièmes annales «Qualité des médias» (Schwabe, 2011). Les annales sont également disponibles sur Internet: www.qualitaet-der-medien.chElles sont financées par la fondation «Stiftung Öffentlichkeit und Gesellschaft». www.oeffentlichkeit.ch

Source: REvue Suisse Collé à partir de <http://www.revue.ch/medien-fr>





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