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N° 3 / La métaphysique ...

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Dialogue & Démocratie Suisse

Newsletter N° 3, août 2010

La métaphysique dans la démocratie, une idée moderne ?

En ce début de 21ème siècle, la globalisation des échanges commerciaux et des systèmes d'informations a profondément modifié les équilibres socio-économiques des pays occidentaux et de la Suisse en particulier. Est-ce que cela pose un vrai défi à la gouvernance du conseil fédéral et aux types d'évolution politiques de notre société démocratique actuelle ?

Depuis l'instauration de la constitution fédérale de 1848 la Suisse vit dans une relative paix politique et son régime démocratique reste en parfaite adéquation avec la déclaration universelle des droits de l'homme qui stipule dans son article 21 (3) que
" La volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics; cette volonté doit s'exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote. "
D'autre part, le conseil fédéral a toujours su s'adapter aux réalités sociétales si diverses en natures et en faits de la Suisse ainsi qu'aux nouveaux paradigmes du capitalisme financier sans toucher aux droits fondamentaux tels la liberté d'opinion et de réunion, l'indépendance de la presse et de la justice.

Pourra-t-il encore longtemps s'adapter aux profondes mutations économiques et écologiques que nous allons inévitablement subir dans les prochaines décennies sans réformer ses structures institutionnelles et par la même changer notre société démocratique ?
Pour essayer de caractériser et de définir cette nouvelle société en devenir il faut tout d'abord s'intéresser aux potentialités d'adaptation de l'homme dans une démocratie politique directe et de l'évolution des valeurs démocratiques du citoyen de base dans un pays moins riche où le manque des besoins fondamentaux pourrait générer des inégalités sociales et salariales .

Face à un devenir incertain, il est important de rappeler les valeurs de la démocratie telles qu'elles ont été introduites par Jean-Jacques Rousseau, le philosophe des libertés qui affirme que :
" Le citoyen est un être éminemment politique qui exprime non pas son intérêt individuel mais l'intérêt général. Cet intérêt général ne se résume pas à la somme des volontés particulières mais la dépasse. " Mais aussi par Montesquieu, Robespierre et Saint-Just parce qui ont placé au centre du système démocratique les vertus morales tels la tolérance et la charité ainsi que les vertus cardinales et intellectuelles que sont respectivement le courage, la prudence, la tempérance et l'intelligence.

L'ensemble de ces vertus ne sont pas étrangères à la Franc-maçonnerie puisque nous les retrouvons dans les rituels maçonniques et qu'ils participent à l'édification d'une personnalité initiatique maçonnique. Il est donc aisé d'affirmer que le contenu démocratique procède de la démarche initiatique.

Alexis de Tocqueville, ce grand érudit de la société moderne avait parfaitement reconnu la démocratie comme un procédé initiatique inséparable d'un principe initiatique personnel qui renvoie à l'intuition démocratique .
Une telle démarche présuppose bien sûr qu'il existe une unité de la pensée démocratique en quelque sorte inscrite dans le sur conscient du citoyen qui permet d'appréhender la démocratie à la fois dans sa partie visible et métaphysique. C'est donc par l'acceptation d'un principe évolutif et structurant de l'égalité des conditions associé à une destinée humaine que le citoyen peut affronter les contradictions permanentes de la vie démocratique. En vivant cette unité par la raison du cœur et avec une vision utilitariste il est à même de ne pas se décourager devant les crises naturelles et par conséquent de faire taire l'histoire qui dit qu'après la révolution vient toujours la terreur et la tyrannie..

C'est encore une fois avec Tocqueville que l'on trouve une porte de sortie respectueuse de la réalité démocratique puisqu'il préfère parler d' " intérêt bien entendu " plutôt que de la vertu.
La défense de la vertu mène naturellement à la guerre tandis que la pratique d'une
" doctrine peu haute, mais clair et sûr " qui " ne cherche pas atteindre de grands objets ; mais qui atteint sans trop d'effort tous ceux auxquels elle vise…. " mène à une coexistence pacifique et consensuelle d'une communauté, bien sûr, rarement éblouissante mais toujours respectueuse des intérêts de tous.
Ne retrouvons-nous pas dans ces principes de Tocqueville la confirmation que ce qui est important n'est point dans l'affirmation péremptoire d'une certitude dogmatique aussi vertueuses soit-elle mais la continuation du processus démocratique avec sa capacité de transmission des valeurs dans l'intérêt de tous.

" Connaître, craindre et espérer " sont les mots qu'utilise le philosophe pour donner du sens au processus initiatique mais aussi pour mettre en évidence que les principes démocratiques peuvent se renverser en leur contraire et conduire au paradoxe. Liberté et esclavage ne sont pas très loin, d'où l'extrême prudence que nous devons tous avoir dans la sublimation du mot liberté puisqu'elle n'est jamais donnée et reste à conquérir tout au long de sa vie.

La démocratie est par nature un processus historique, elle est donc naturellement en crise perpétuelle. La Franc-maçonnerie qui est un laboratoire du contenu démocratique ne participe pas du processus historique puisqu'elle défend une méthode initiatique basée sur la Tradition. Elle est donc génératrice d'un contenu politique qui organise une manière d'être, de penser et de se comporter. Elle prépare donc à la citoyenneté non pas dans la passivité mais pour gouverner. Elle pratique l'Art Royal non pas par l'exaltation des vertus aristocratiques de l'Ancien Régime mais par celles de la démocratie respectueuses à la fois des diversités et des caractères mais dans le respect absolu d'une règle qui, comme l'affirme Kant, transcende toutes les différences et devient l'universel de tous. Le centre de l'union est donc la règle. Elle n'est point un dogme mais exprime une volonté commune de gouverner ensemble afin de rassembler ce qui est épars.

En période de crise de la démocratie, chacun de nous peut se demander si l'accomplissement de l'homme ne se retrouve pas dans ses contradictions et son manque de confiance dans l'avenir du genre humain. Les contradictions de l'enchantement de l'idéal démocratique qui procèdent des fractures de monde social et politique mais aussi des questions de religion et de liberté peuvent faire douter du bien fondé démocratique.
Une réponse positive est à trouver dans les pays anglo-saxon où la métaphysique du bien vivre ensemble démocratique résulte d'un pragmatisme utilitariste issus du 19ème siècle qui a été initié par Jérémy Bentham. C'est grâce à ce processus que la religion ne fut pas combattue et participa en quelque sorte au maintien des institutions démocratique. Ce fut aussi une tentative de traduire rationnellement le commandement
" Aime ton prochain comme toi-même " et de donner une définition rationnelle de l'altruisme, ciment de la construction de l'Etat moderne et égalitaire.

En France et en Suisse, la liberté dans la démocratie est née du combat contre les religions. Elle a donné naissance à la laïcité qui autorise toutes les religions et les croyances dans la mesure du droit mais à amoindri considérablement la foi publique dans les institutions démocratiques. Ce déficit de métaphysique est la principale cause de l'affaiblissement et de la confiance dans le processus démocratique.
Heureusement en Suisse, Jonas Furrer Membre de la Loge Akazia de Winterthur, Grand Orateur de la Grande Loge Suisse Alpina en 1844 puis, quatre années plus tard premier président de la Confédération helvétique a participé à la rédaction de la Constitution fédérale de 1848.

Nous lisons dans le préambule de la Constitution toute la quintessence de l'esprit de Tocqueville et des valeurs maçonniques. En quelque sorte notre Frère Jonas Furrer avait parfaitement compris que la foi démocratique doit être vivifiée ad Vitam Aeternam dans la constitution fédérale afin de palier aux crises inévitables du processus historiques démocratiques.
Nous trouvons dans le préambule trois phrases d'inspirations maçonnique qui sont les suivantes :
" Au nom de Dieu Tout Puissant " qui rappelle l'importance du GADLU et de la composante métaphysique de la démocratie.
" Déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et l'équité " qui enjoint les citoyens à vivre comme des initiés
" Sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres "
qui propose de vivre ensemble selon les préceptes de la chaine d'union.
Enfin, pour couronner le tout le Conseil Fédéral est formé de sept conseillers fédéraux, ce qui le relie analogiquement à une loge maçonnique juste et parfaite..

Nous sommes en Suisse des privilégiés puisque nous n'avons pas à nous poser la question suivante :
" Quel type de foi est-il possible d'envisager à l'intérieur de la condition démocratique " Nous la connaissons, puisqu'elle se nourrit d'altérité, de respect de l'autre et des diversités ethniques, de dialectiques constructives au service des équilibres sociaux et politiques.

En période de crise la tentation est très forte de vouloir réformer mais si la réforme consiste à faire disparaître la démocratie métaphysique c'est comme vouloir penser la foi sans la religion ou la démarche initiatique sans les rituels c'est une façon de séculariser l'idéal métaphysique de la démocratie. Le voulons-nous vraiment ? Ecoutons encore Alexis de Tocqueville qui en quelque sorte nous met en garde contre les réformes :
" J'ai pensé que beaucoup se chargeraient d'annoncer les biens nouveaux que l'égalité promet aux hommes, mais que peu oseraient signaler de loin les périls dont elle les menace "


André Moser, président D&DS

Commentaire de M. Pierre Jenni

En premier lieu, il me semble important de bien cerner le sens du mot "métaphysique". Selon Larousse, " Connaissance des causes premières et des premiers principes. Toute spéculation sur le sens du monde et la place de l'homme dans le monde. "

Cette quête, car c'est bien d'un Graal que nous parlons à ce stade, agite passablement la communauté scientifique, notamment les physiciens du Cern avec le LHC qui devrait permettre de comprendre la création de l'univers et les dernières découvertes quantiques qui semblent valider l'absence de réalité du temps et la relativité de la notion d'espace.

La démocratie en revanche est une notion on ne peut plus concrète qui ne laisse pas de place à la spéculation. C'est un fonctionnement. Un outil au service des hommes.
Il m'apparaît donc d'emblée dans le titre une antinomie irréconciliable, une espèce de chimère, un rêve de pureté, de valeurs subliminales en fondement ou en ajout pour édulcorer un système défaillant.

Au fil du discours, il m'apparaît que, sans vraiment que ce soit dit, c'est plutôt de religion qu'il est ici question. Plus grave, et toujours non dit mais ostensiblement suggéré, c'est de christianisme qu'il est question. Tous les ingrédients pour justifier et alimenter les causes premières des guerres au nom d'un Dieu tout puissant. Nous voilà bien loin d'une idée moderne.

Il n'est pas opportun de revenir sur les dérives des gouvernements avant leur sécularisation dont l'histoire nous abreuve d'exemples accablants. Mais est-ce que le déficit "religieux" est vraiment la principale cause de l'affaiblissement et de la confiance dans le processus démocratique ? Est-ce que la période d'individualisme que nous traversons n'a pas sa raison d'être ? Le processus initiatique dont il est question ou, moins pompeusement, l'éducation est une valeur qui s'acquiert et se développe de manière individuelle en fonction de certaines qualités innées ou acquises ainsi que de l'environnement dans lequel nous évoluons.

Il m'apparaît donc que le meilleur moyen de revitaliser la démocratie reste bien terre à terre et consiste à permettre au plus grand nombre d'accéder à l'éducation. Le sentiment religieux trouvera son chemin dans l'esprit de chacun en "colorant" ses acquis.

De manière générale, les sociétés occidentales qui donnent accès à une éducation laïque ouverte et de qualité semblent paradoxalement vivre un déficit de démocratie. Les citoyens désertent les urnes et lorsqu'ils s'expriment massivement sur des sujet plutôt émotionnels, comme la dernière votation sur les minarets, les élus désespèrent devant le niveau.

J'y vois deux raisons : d'une part, dans l'histoire des hommes, la démocratie est encore un enfant et d'autre part, les élus tiennent rarement leurs promesses. Développons.


La démocratie, un enfant qui, pour grandir, devra traverser une phase d'individualisme comme celle que nous vivons en ce moment pour mieux réaliser que le tout est contenu dans l'un, que l'autre n'est pas aussi distinct qu'il en a l'air, que tant qu'un être souffrira, je souffrirai etc. Pas de manière spéculative et métaphysique, mais dans la chair, dans le vécu.

Des élus intègres ? Il est permit de rêver mais c'est encore un peu tôt. Le système ne le permet pas, n'est pas prêt, trop jeune. Pour assurer son programme, un homme politique a forcément comme préoccupation majeure d'être élu et réélu car il ne pourra le réaliser dans une législature. Tout prend énormément de temps. Il devra donc convaincre la masse et ne pourra donc dire la vérité qui n'est pas trop bonne à entendre.

Je salue la sagesse de D&DS qui participe activement au débat politique, qui descend dans l'arène et essaie de dévoiler ce qui semble caché sans participer au processus électoral. C'est tellement plus beau lorsque c'est gratuit.

Merci d'être là, merci pour tout ce que vous essayez de faire et bon courage pour la suite.

P. Jenni

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